Santé mentale et intelligence artificielle : entre promesses et vigilance

Santé mentale et intelligence artificielle : entre promesses et vigilance

La santé mentale est devenue un enjeu majeur de santé publique ces dernières années, avec une hausse préoccupante des troubles anxieux et dépressifs, notamment chez les jeunes. En 2023, Santé publique France notait une dégradation du bien-être psychologique des adolescents, un adolescent sur sept présentant de graves risques de dépression. Parallèlement, les innovations en intelligence artificielle (IA) suscitent un espoir : et si la technologie pouvait aider à prévenir et traiter ces troubles de manière plus accessible ? Des applications mobiles de thérapie numérique, des algorithmes capables de dépister précocement les signaux de détresse, jusqu’aux chatbots thérapeutiques dialoguant avec les usagers, l’IA investit peu à peu le champ de la santé mentale. Mais que peut-on réellement en attendre, et quelles sont les limites à connaître ? Cet article fait le point, de façon équilibrée, sur les atouts et les défis de l’IA au service du bien-être psychologique.

Chatbots thérapeutiques et thérapies numériques : de l’école aux smartphones

Les chatbots – programmes capables de tenir une conversation écrite ou orale – figurent parmi les outils d’IA les plus visibles en santé mentale. Dès les années 1960, le logiciel ELIZA simulait déjà un psychothérapeute par échange textuel. Aujourd’hui, on compte des centaines de chatbots « psy » en ligne : en janvier 2024, 475 chatbots dédiés à la santé mentale étaient disponibles sur la plateforme Character.ai, cumulant des millions d’interactions. Sur smartphone, des applications comme Wysa (auto-proclamé « compagnon de bonheur ») ou Woebot proposent un soutien psychologique virtuel 24h/24. Wysa a même obtenu une certification de la FDA (agence sanitaire américaine) pour son dispositif, témoignant de l’attention croissante portée à ces outils. Ces thérapies numériques offrent aux utilisateurs des exercices pour réduire le stress, des conversations simulant l’écoute empathique, ou des conseils personnalisés en cas de mal-être.

Wysa - One Mind PsyberGuide | A Mental Health App Guide
Exemple d’application de thérapie numérique : Wysa, un chatbot qui dialogue avec l’utilisateur et propose des exercices de bien-être.

L’utilisation de chatbots s’étend même au milieu scolaire. Confrontées au manque de psychologues, certaines écoles ont commencé à tester des agents conversationnels pour soutenir la santé mentale des élèves. Par exemple, aux États-Unis, le chatbot Sonny est expérimenté auprès de 4 500 collégiens et lycéens pour les conseiller sur des questions d’orientation et de bien-être. Sa particularité est de fonctionner en mode hybride : il s’appuie sur un modèle de langage entraîné spécifiquement, tout en étant supervisé par une équipe de six humains formés en psychologie et travail social, prête à intervenir en cas de besoin. Ce choix vise à rassurer quant aux dérives possibles de l’IA (hallucinations ou réponses inappropriées) et à garantir une intervention humaine pour les situations de crise. Le chatbot rappelle d’ailleurs aux jeunes qu’il n’est pas un thérapeute professionnel et les encourage régulièrement à parler à un adulte de confiance. Au Québec également, l’idée de recourir à ce type de soutien numérique suscite l’intérêt dans les établissements scolaires, face à l’urgence de la santé mentale des jeunes. Sans remplacer les psychologues scolaires, ces outils visent à offrir un filet de sécurité supplémentaire pour les élèves en détresse lorsque les ressources humaines manquent.

Avantages potentiels de l’IA pour le bien-être mental

Le succès grandissant de ces thérapies numériques s’explique par plusieurs avantages notables. Les professionnels de santé mentale eux-mêmes commencent à y voir des outils d’appoint intéressants. Parmi les atouts souvent cités de l’IA dans ce domaine :

« Le numérique et l’intelligence artificielle peuvent être une chance pour améliorer la prise en charge en matière de santé mentale », souligne Alexia Adda, experte en technologies de la santé.

Limites et risques de l’IA en santé mentale

Malgré ses promesses, l’IA appliquée à la santé mentale comporte encore d’importantes limites, qu’il est crucial de garder à l’esprit. Les professionnels de santé et les chercheurs appellent à la prudence face à un enthousiasme parfois démesuré. Parmi les principaux défis et risques identifiés :

Vers une intelligence artificielle éthique et encadrée en santé mentale

Face à ces défis, experts et autorités appellent à développer une approche encadrée de l’IA en santé mentale, où la technologie sert d’appoint sans se substituer à l’humain, et où des garde-fous garantissent la sécurité des usagers. Plusieurs pistes émergent pour aller dans ce sens :

En définitive, l’essor de l’intelligence artificielle dans le domaine de la santé mentale ouvre des perspectives inédites pour améliorer le bien-être et la prévention des troubles mentaux. Des études commencent à montrer des effets positifs – par exemple, une application comme Woebot a démontré une réduction significative des symptômes dépressifs en seulement deux semaines d’utilisation dans un essai contrôl. De plus, les témoignages de certains utilisateurs soulignent le sentiment de soutien apporté par ces compagnons virtuels lorsqu’ils n’avaient personne vers qui se tourner. Néanmoins, ces outils ne sont pas une panacée. Ils doivent s’inscrire dans une stratégie globale de santé mentale, en complément des approches humaines et jamais en remplacement d’un suivi professionnel pour les cas sévères. L’IA, si elle est déployée avec éthique et discernement, peut devenir un allié précieux pour soulager les souffrances psychiques et renforcer la prévention. L’enjeu est de trouver le bon équilibre : exploiter les avantages de l’IA (disponibilité, analyse de données, personnalisation) tout en préservant l’humanité de la relation d’aide. Avec une utilisation responsable, l’avenir pourrait voir émerger une véritable alliance homme-machine au service de notre santé mentale, où chacun tire parti des forces de l’autre pour mieux accompagner celles et ceux qui en ont besoin.

Sources : *Organisation mondiale de la santé (OMS), Blog du Modérateur, Frandroid, The Verge, Mozilla Foundation, Harvard Medical School, etc.

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